2007-11-14

Confiance et croissance

Intéressant article sur la société de défiance : un mal français, sur Telos. On peut être en désaccord avec sa conclusion, qui préconise une solution scandinave interventionniste et très redistributive (qui suppose précisément la confiance qui peut exister dans une société imprégnée de la morale protestante, et un choix de société particulièrement égalitaire). Il existe en effet une autre solution que le régime social unique, commun, collectif, égalitaire : cette autre solution, plus libérale, est le libre choix entre des régimes concurrents et responsables. Par exemple, l'existence de régimes spéciaux ne serait pas problématique s'ils étaient d'une part ouverts à tous et d'autre part responsables de leur financement au lieu d'être garantis par l'Etat, qui comble leur déficit avec les deniers publics : ces régimes seraient alors contraints d'assurer leur solvabilité, et ne seraient dès lors plus un privilège bénéficiant à quelques-uns. En tout cas, la situation française (ni égalité des droits, ni liberté de choix) est probablement le (non-)choix le plus calamiteux.

Cet article est cependant très intéressant car il met en évidence un facteur essentiel de la croissance, qui est encore plus négligé que l'investissement (cf. mon précédent billet sur la R & D dans le CAC 40), car plus difficile à quantifier, à savoir la confiance, le crédit spontané que l'on est prêt à accorder à un autre individu que l'on ne connaît pas.

Cette confiance spontanée en autrui est elle-même, peut-on penser, la conséquence de l'honnêteté, de l'éthique, de la morale civiques, présentes ou absentes dans la société française : est-ce que je me sens lié par mes engagements, est-ce que ma parole ou ma signature a une valeur, est-ce que j'accorde de l'importance à la vérité de ce que je dis, est-ce que je suis prêt à tricher ou à être corrompu, est-ce que je respecte le droit de propriété, serai-je sanctionné pour mes manquements... Il serait irrationnel de faire confiance à autrui dans une société de tricheurs, de menteurs, de voleurs et dans une société d'impunité.

Une société qui perd ses valeurs morales (longtemps tenues, qu'on le veuille ou non, d'une culture judéo-chrétienne imprégnée du Décalogue : VIII. tu ne voleras pas, IX. tu ne feras pas de faux témoignages) érode ce capital de confiance qui est un intrant aussi important de la croissance que le capital (et donc l'investissement et l'épargne), le travail, l'innovation, l'éducation, la formation, le système juridique (qui doit garantir notamment le respect du droit de propriété et des obligations contractées), la circulation de l'information et des biens (services postaux, télécommunications, services bancaires) et la transparence, l'absence de restriction au libre échange, un système de marché permettant de définir des signaux sous la forme de prix (bref, la plupart des éléments qui ont manqué au défunt système soviétique).

Comment restaurer la confiance ? Probablement en ayant une parole publique plus sincère donc plus crédible, en restaurant la vertu en politique, en ne négligeant pas cet aspect de l'éducation (délivrée par le catéchisme dans l'enseignement catholique, et autrefois par le cours de morale de l'école publique de la IIIe République), en instituant des boucles de rétroaction (notamment par l'évaluation : cf. l'exemple connu d'eBay où acheteurs et vendeurs sont notés) et - dans une société où la confiance se dégrade - en réallouant des moyens aux deux services publics qui en sont les garants, la police et la justice (cf. ce bouquin d'Etienne Douat, et cet article de Wikinews).

Voir sur ce sujet, outre l'article de Pierre Cahuc et Yann Algan, l'article de Paul J. Zak & Stephen Knack, et économie et confiance par Guy Schuller, ainsi que la note n° 80 du Centre d'analyse stratégique (malheureusement en .pdf). Et deux livres : la société de confiance d'Alain Peyrefitte ; et la société de défiance de Yann Algan.


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