Palmyre, temple de Baal, construit en l'an 32, détruit par Daech en 2015
"Et j’arrivai à la ville de Hems, sur les bords de l’Orontes ; et là, me trouvant rapproché de celle de Palmyre, située dans le désert, je résolus de connaître par moi-même ses monumens si vantés ; et, après trois jours de marche dans des solitudes arides, ayant traversé une vallée remplie de grottes et de sépulcres, tout à coup, au sortir de cette vallée, j’aperçus dans la plaine la scène de ruines la plus étonnante : c’était une multitude innombrable de superbes colonnes debout, qui, telles que les avenues de nos parcs, s’étendaient à perte de vue, en files symétriques. Parmi ces colonnes étaient de grands édifices, les uns entiers, les autres à demi-écroulés. De toutes parts, la terre était jonchée de semblables débris, de corniches, de chapiteaux, de fûts, d’entablemens, de pilastres, tous de marbre blanc, d’un travail exquis. Après trois quarts d’heure de marche le long de ces ruines, nous entrâmes dans l’enceinte d’un vaste édifice, qui fut jadis un temple dédié au soleil ; et je pris l’hospitalité chez de pauvres paysans arabes, qui ont établi leurs chaumières sur le parvis même du temple ; et je résolus de demeurer pendant quelques jours pour considérer en détail la beauté de tant d’ouvrages. Chaque jour je sortais pour visiter quelqu’un des monumens qui couvrent la plaine ; et un soir que, l’esprit occupé de réflexions, je m’étais avancé jusqu’à la vallée des sépulcres, je montai sur les hauteurs qui la bordent, et d’où l’œil domine à la fois l’ensemble des ruines et l’immensité du désert. -le soleil venait de se coucher ; un bandeau rougeâtre marquait encore sa trace à l’horizon lointain des monts de la Syrie : la pleine lune à l’orient s’élevait sur un fond bleuâtre, aux planes rives de l’Euphrate ; le ciel était pur, l’air calme et serein ; l’éclat mourant du jour tempérait l’horreur des ténèbres ; la fraîcheur naissante de la nuit calmait les feux de la terre embrasée ; les pâtres avaient retiré leurs chameaux ; l’œil n’apercevait plus aucun mouvement sur la plaine monotone et grisâtre ; un vaste silence régnait sur le désert ; seulement à de longs intervalles l’on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit et de quelques chacals… l’ombre croissait, et déjà dans le crépuscule mes regards ne distinguaient plus que les fantômes blanchâtres des colonnes et des murs… ces lieux solitaires, cette soirée paisible, cette scène majestueuse, imprimèrent à mon esprit un recueillement religieux. L’aspect d’une grande cité déserte, la mémoire des tems passés, la comparaison de l’état présent, tout éleva mon cœur à de hautes pensées. Je m’assis sur le tronc d’une colonne ; et là, le coude appuyé sur le genou, la tête soutenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m’abandonnai à une rêverie profonde."
Volney - Les Ruines, ou Méditations sur les révolutions des empires - 6e édition, corrigée par l'auteur - 1820 (édition princeps : 1789)
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