L'Europe des régions. Source : ARE
J'ai longtemps été
favorable à l'idée de fusion des régions. Qui soutiendrait, à
part les élus actuels, attachés à leur siège, qu’il n’y a pas
de sens à réunir l’Alsace et la Lorraine, ou la Normandie haute
et basse ? On sait que le sujet de l'organisation territoriale de la France passionne depuis longtemps les Lorrains, puisque 19 d'entre eux, d’opinions politiques et religieuses diverses, publièrent dès 1865 un projet de décentralisation plus connu sous le nom de "projet de Nancy".
L’idée qu’il y a
trop de niveaux d’administration en France, trop de collectivités
locales, rend immédiatement sympathique la proposition de réduire le
nombre des collectivités à l’un de ces échelons. On se dit que
leur fusion permettra des rationalisations, des suppressions de
doublons. Mais cette idée simple ne serait-elle pas trop intuitive,
un peu hâtive ? Résiste-t-elle à l’épreuve des faits ?
Qu’en est-il au fond, en tentant de prendre un peu de recul ?
On dit souvent que
l'économie ou la science politique ne sont pas des sciences
expérimentales ; mais on peut tout de même trouver des
exemples, ou des contre-exemples, à condition de bien vouloir
regarder ailleurs que dans l'hexagone.
Pour cette réflexion,
j’ai retenu deux pays voisins en particulier : l’Allemagne
et la Suisse, car elles souvent montrées en modèles d'un système
décentralisé qui fonctionne, et qui fonctionne bien. Leur vitalité
démocratique est indéniable, et est confirmée par les classements internationaux. Et leurs résultats économiques sont enviables :
respectivement 3,2 % de chômage et 78928 $ de PIB par habitant
pour la Suisse, 6,8 % et 42625 $ pour l’Allemagne contre 9,8 % et
39772 $ pour la France. Personne ne peut sérieusement soutenir que
les cantons suisses ou les Länder allemands ne fonctionnent pas, ou
fonctionnent moins bien que les régions françaises. Je comparerai
les populations, critère qui est avancé comme justifiant le plus l’idée de fusion, et
qui est plus pertinent que la superficie, la densité ou la richesse.
Or, que constate-t-on
lorsque l’on compare la population des régions françaises, des
Länder allemands et des cantons suisses ? On constate, tout
simplement, que la taille n'y fait rien : le nombre
d’habitants par région est sans influence sur leur pertinence
politique et leur efficacité économique. Cf. le graphique
ci-dessous (population des Länder en noir, des régions en blanc,
des cantons en rouge) : fichier téléchargeable et imprimable
pour avoir une vue plus nette.
Cliquer sur le graphique pour l'agrandir.
Extrait du tableau .xls par Marc Baronnet publié sous licence CC-BY-SA 3.0
Les régions françaises
sont intercalées, tant parmi les cantons suisses que parmi les
Länder allemands. Pour simplifier, les îles et la Guyane sont
intercalées parmi les cantons suisses, et les régions
métropolitaines continentales sont intercalées parmi les Länder.
Si la taille n’y fait
rien, pourquoi cette idée récurrente de fusion, déjà avancée
dans le rapport du comité Balladur remis le 5 mars 2009 ?
Avançons quelques explications.
1. C’est une idée
simple, et les idées simples et intuitives sont plus faciles à
faire passer que les réformes plus complexes, même plus
efficientes.
2. Il faut, en
politique, à l’ère médiatique, faire des annonces, pouvoir
montrer qu'on agit. C’est une belle réforme, qui ne sert peut-être
pas à grand-chose, mais qui est visible, affichable.
3. Elle paraît, mais à
tort, répondre au problème, clairement identifié et réel, du trop
grand nombre de collectivités locales en France et du trop grand
nombre d’élus.
4. Elle permet de différer l'examen de questions autrement plus épineuses de dévolution de nouvelles compétences et d'accroissement de l'autonomie financière, qui ont l'inconvénient pour les jacobins de réduire le pouvoir de Paris, ou de suppression du département, qui se heurte à la fronde de tous ceux qui ont un intérêt particulier à son maintien.
La théorie ne permet pas
de démontrer que les économies d'échelles souvent promises, mais
rarement réalisées, et qui risquent en fait d’être compensées
par les dépenses somptuaires de barons des grandes régions,
présentent un intérêt supérieur à la qualité de la gestion
permise par la proximité, la subsidiarité, la responsabilisation
des élus par la connaissance personnelle de leurs concitoyens dans
des entités de petite taille. Les populations des régions
françaises ne sont pas hors de proportion avec celles des
entités suisses et allemandes, avec un spectre plus large il est
vrai. À moins que la dispersion ait en soi un coût, mais cela n'est
nullement démontré, ni théoriquement ni expérimentalement,
puisque chez nos voisins les collectivités n’ont pas non plus une
taille homogène. Pas plus que la théorie, les faits, tels qu’ils
sont vécus par nos voisins allemands et suisses, ne démontrent
l’avantage de telles fusions.
On trouve en revanche à
cette idée de réforme une série d’inconvénients : les
coûts de transition, la déperdition d’énergie causée par les
dissensions sur le choix des départements qui composeront ces
futures grandes régions, soit qu’ils soient réunis par décision
arbitraire venue de Paris, soit qu’ils résultent – mais
comment ? – de la consultation de leurs habitants, sans
compter les incongruités qui ne manqueront pas d’en résulter en
l’absence de critère qui fasse l’unanimité ; et enfin, les
régions françaises les plus petites, pour lesquelles le gain de
taille est peut-être le seul qui ait réellement un sens, sont les
moins fusionnables entre toutes : il s’agit des îles. À moins de
constituer une région des Îles-de-France... mais les distances et
les spécificités insulaires rendent cette idée illusoire.
Pour réduire
significativement le nombre d’élus et de collectivités, il n’est
nul besoin de fusionner les régions. Si l’on tient à diminuer le
nombre de collectivités et d’élus, cela doit notamment passer par
la suppression pure et simple d’un niveau d’administration,
probablement le département ; et par la réunion des communes,
comme l’a fait la Belgique, qui a divisé par 4 le nombre de ses
communes en 1975. Je proposerais, par exemple, de réfléchir à
une fusion des communes rurales à l’échelle du canton, avec
maintien d’une représentation de chacune des communes
constitutives.
La conclusion de cette
réflexion est que la clef de l'amélioration de l’organisation territoriale de la
France n’est pas la taille de ses régions, alors même que parmi
les propositions récentes c’est la question qui retient le plus
l’attention des media et du public. Le critère du succès des
Länder allemands et des cantons suisses réside ailleurs que dans
leurs dimensions.
Le rapport Balladur de
2009 comporte trois parties : il parle de simplifier les
structures, de clarifier les compétences, et de moderniser les
finances locales. S’agissant des régions, c'est bien plus au
niveau de l'attribution des compétences et des modalités de leur
exercice, d'une part, et de l'autonomie et des marges de manœuvre en
matière financière, fiscale et budgétaire, d'autre part, que résident les facteurs
du succès, politique et économique, et finalement humain, de ces
collectivités.
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