701 Jail of the Harris County Sheriff's Office - Houston, TX |
The New Yorker publie un article remarquable article de six pages d'Adam Gopnik sur le système policier, judiciaire et pénitentiaire aux États-Unis. Je m'étais abonné pour avoir accès à la biographie de Peter Thiel par George Packer, dans les archives du New Yorker, mais ce seul article passionnant justifie mon abonnement ! En voici l'essentiel, des chiffres qui font réfléchir, et une réflexion sur les stratégies de lutte contre la criminalité, avec des liens vers les livres cités par l'auteur :
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Le Texas a condamné plus de 400 adolescents à la prison à vie.
Aux États-Unis, plus de la moitié des hommes noirs sans diplôme du secondaire vont en prison à un moment dans leur vie.
Il y a plus d'hommes noirs dans le système judiciaire criminel (en prison ou en conditionnelle) qu'il n'y avait d'esclaves.
Les noirs sont emprisonnés sept fois plus souvent que les blancs.
Il y a plus de personnes sous "surveillance correctionnelle" aux États-Unis (plus de 6 millions) qu'il n'y en avait dans l'archipel du goulag à son apogée sous Staline.
La ville des emprisonnés et des contrôlés, Écrouville (Lockuptown), est la deuxième plus grande des États-Unis.
En 1980, il y avait environ 220 prisonniers pour 100 000 Américains.
En 2010, ils étaient 731 pour 100 000.
Aucun autre pays n'approche de ces chiffres.
Dans tous les autres pays développés, le taux "naturel" d'incarcération tourne autour de 100 hommes pour 100 000 habitants : 1 homme sur 1000 commet à un moment ou à un autre une infraction vraiment grave. "L'objectif du système judiciaire devrait être d'identifier ce millième homme, de trouver un moyen de l'empêcher de nuire aux autres, et de laisser à tous les autres la paix", écrit Gopnik.
Ces vingt dernières années, les dépenses pour les prisons ont crû 6 fois plus vite que les dépenses pour l'enseignement supérieur.
Chaque matin aux États-Unis, au moins 50 000 hommes se réveillent à l'isolement.
Aux États-Unis, plus de 70 000 prisonniers sont violés chaque année.
La criminalité a baissé de 40 % depuis les années 1980 aux États-Unis, et de 80 % à New York.
Pendant ce temps, le taux d'incarcération augmentait dans le pays, et diminuait à New York.
Franklin E. Zimring explique que les facteurs explicatifs de cette amélioration de la sécurité, à New York, ne sont ni ceux de droite (emprisonnement de superprédateurs, baisse du nombre de mères célibataires, réforme de la culture de l'assistanat) ni ceux de gauche (injustice, discrimination, pauvreté), et que la politique de tolérance zéro (sanctionner la moindre incivilité, telle qu'une vitre brisée ou un tourniquet enjambé) a eu un effet négligeable (elle était plus un slogan qu'une réalité : les arrestations pour des infractions visibles non-violentes, telles que prostitution et jeu, ont décru).
Ce sont de petits actes d'ingénierie sociale, conçus pour empêcher les infractions de se produire, qui ont aidé à réduire la criminalité : la police de New York (NYPD) a cessé de combattre des actes mineurs dans les lieux sûrs, pour mettre beaucoup de policiers dans les lieux où les infractions se produisaient le plus : hotspot policing (la police des points chauds).
Les policiers ont aussi mis en œuvre un programme agressif et controversé : stop and frisk (contrôle d'identité et fouille - avec prise d'empreintes), impliquant le profiling, non pas tant racial que social. Les minorités ont payé un prix disproportionné en mineurs contrôlés et fouillés et détenus, mais elles y ont gagné une baisse disproportionnée de la délinquance. En réduisant la délinquance urbaine, la politique de contrôle et de fouille a eu pour résultat net de réduire significativement le nombre d'enfants de minorités pauvres faisant de longs séjours en prison.
Zimring détruit les préjugés de la criminologie de l'offre (supply side criminology), selon laquelle les conditions sociales produisent une certaine quantité de délinquance qui ne demande qu'à s'exprimer : la proportion d'afro-américains et d'hispaniques a doublé depuis les années 1960 à New York ; la criminalité a chuté depuis les années 1980.
Il ne s'agit pas d'enfermer un stock de criminels potentiels. L'activité criminelle résulte d'un nombre donné d'occasions qui sont données au crime d'être commis, et non d'un nombre prédéterminé de criminels.
Par exemple, fermer un marché public de la drogue en un lieu ne signifie pas qu'il va rouvrir dans un autre ; il va soit cesser, soit être déplacé dans un lieu fermé, où le commerce continue, mais pas le crime violent. Et par un cercle vertueux, la baisse de la prévalence du crime nourrit une baisse de la prévalence du crime. Quand vos fréquentations ne font plus de hold-ups, vous êtes moins susceptible d'en commettre un.
L'idée qu'il faut réduire le crime en appliquant des forces cycliques sur des situations et des choses contingentes, plutôt que de rechercher des causes essentielles et des motifs profonds, déplaît à la droite (car cela montre qu'être dur ne sert à rien) et à la gauche (car cela montre qu'une politique douce ne sert à rien non plus). Réduire la criminalité ne dépend ni de la réduction de pathologies sociales dénoncées par la droite, ni de l'adoucissement de souffrances sociales dénoncées par la gauche : cela suppose d'ériger de petites et agaçantes barrières à l'entrée.
Il y a probablement d'autres facteurs explicatifs qui seront découverts à l'avenir ; il est par exemple possible que le téléphone mobile ait joué un rôle.
Source : The New Yorker, 2012-01-30, Adam Gopnik, A critic at large : The caging of America, Why do we lock up so many people ?
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Lire aussi :
- Crime et démocracie, les leçons de Jersey
- Sur l'idée que la commission du crime est circonstancielle, ce paragraphe de Frédéric Bastiat, dans La Loi : "Se conserver, se développer, c'est l'aspiration commune à tous les hommes, de telle sorte que si chacun jouissait du libre exercice de ses facultés et de la libre disposition de leurs produits, le progrès social serait incessant, ininterrompu, infaillible.
Mais il est une autre disposition qui leur est aussi commune. C'est de vivre et de se développer, quand ils le peuvent, aux dépens les uns des autres. Ce n'est pas là une imputation hasardée, émanée d'un esprit chagrin et pessimiste. L'histoire en rend témoignage par les guerres incessantes, les migrations de peuples, les oppressions sacerdotales, l'universalité de l'esclavage, les fraudes industrielles et les monopoles dont ses annales sont remplies.
Cette disposition funeste prend naissance dans la constitution même de l'homme, dans ce sentiment primitif, universel, invincible, qui le pousse vers le bien-être et lui fait fuir la douleur.
L'homme ne peut vivre et jouir que par une assimilation, une appropriation perpétuelle, c'est-à-dire par une perpétuelle application de ses facultés sur les choses, ou par le travail. De là la Propriété.
Mais, en fait, il peut vivre et jouir en s'assimilant, en s'appropriant le produit des facultés de son semblable. De là la Spoliation.
Or, le travail étant en lui-même une peine, et l'homme étant naturellement porté à fuir la peine, il s'ensuit, l'histoire est là pour le prouver, que partout où la spoliation est moins onéreuse que le travail, elle prévaut ; elle prévaut sans que ni religion ni morale puissent, dans ce cas, l'empêcher.
Quand donc s'arrête la spoliation? Quand elle devient plus onéreuse, plus dangereuse que le travail.
Il est bien évident que la Loi devrait avoir pour but d'opposer le puissant obstacle de la force collective à cette funeste tendance; qu'elle devrait prendre parti pour la propriété contre la Spoliation."
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