M.
Claude Raynal. - Monsieur le directeur, vous
êtes en charge des monnaies numériques à la BRI. Où
en est-on à propos de l'e-euro ?
M. Benoît Coeuré. - Je suis
très heureux de répondre à cette question. La crise ne
doit en effet pas empêcher de réfléchir à plus long
terme.
Je suis convaincu, au-delà de la France et de l'Europe,
que cette crise va accélérer des mutations technologiques, en
particulier dans le domaine financier. Elle va donner un coup
d'accélérateur à la finance numérique, aussi bien
dans le domaine bancaire que s'agissant des paiements.
On voit la méfiance que le virus provoque aujourd'hui
à l'égard des billets. Cette méfiance est anecdotique et
temporaire - et au demeurant injustifiée, mais la crise va plus
généralement encourager le travail à distance et la
dématérialisation. On aura besoin d'instruments de finance
numérique pour faire fonctionner ce monde nouveau.
Ces instruments doivent-ils inclure une monnaie
numérique banque centrale (MNBC) ? Je ne peux répondre pour
l'euro. C'est à la BCE de le faire. Elle a ses propres travaux sur le
sujet. La BRI essaye de coordonner la réflexion mondiale.
Je copréside un groupe de travail sur ce sujet avec le
sous-gouverneur de la Banque d'Angleterre, Jon Cunliffe. Un premier rapport
sera prêt en septembre. Il dégagera une approche commune entre la
zone euro, l'Angleterre, la Suède, le Canada, le Japon, la Suisse et les
États-Unis.
Il ne conclura pas à l'opportunité de mettre en
place une monnaie électronique car c'est une décision politique
qui vous reviendra, à vous parlementaires nationaux, ainsi qu'au
Parlement européen et au Conseil européen, dans le cadre de
l'euro, mais nous allons dégager des principes communs, en particulier
d'interopérabilité entre MNBC, afin d'assurer le bon
fonctionnement du système monétaire international.
Cette transition prendra le temps qu'il faudra car le choix du
type de monnaie électronique mis en place peut avoir des
conséquences assez fortes sur l'intermédiation
financière.
Pour prendre un exemple quelque peu extrême et
caricatural, si la BCE décidait d'ouvrir des comptes de
dépôt à 340 millions de citoyens de la zone euro pour
pouvoir les abonder avec des euros électroniques, cela pourrait tuer
l'activité de dépôt bancaire commerciale et, par là,
le financement d'une partie des banques européennes.
Il faut réfléchir de manière
cohérente au mode d'instruction de la monnaie électronique, aux
moyens de la sécuriser en termes de cybersécurité, de
fraude, etc. et à l'impact que cela peut avoir sur l'activité de
banque de dépôt et l'intermédiation financière en
général. On va y venir, mais cela prendra sans doute un peu de
temps. Tout ceci n'est qu'un avis personnel.Source: Sénat, commission des affaires européennes : audition de M. Benoît Coeuré, directeur du pôle innovation de la Banque des règlements internationaux, ancien membre du directoire de la Banque centrale européenne (par audioconférence), 14 avril 2020.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire