2013-10-08

L'illusion de la gratuité

J'ai habituellement beaucoup de sympathie pour les actions de Vélorution, étant cycliste, et trouvant que la place du vélo à Nancy est longtemps restée trop réduite, notamment avec l'absurde interdiction pour les cyclistes d'emprunter les voies du tram.

Mais lorsque Vélorution s'éloigne de son objet vélocipédique et relaie les annonces d'un "Collectif transports publics gratuits de Nancy", je ne peux que rester dubitatif. Toutes les idées sont bienvenues, et il peut être intéressant de discuter, de débattre, comme le montre brillamment J. S. Mill au chapitre II de son ouvrage "De la liberté".

Cependant, la gratuité est une illusion : la gratuité des transports n'existe pas, il y a toujours des personnes qui paient, et cet intitulé lui-même est trompeur. Ce que ne paie pas l'usager, il faut le financer autrement. Comment ? Par des sponsors commerciaux, ou par les contribuables.

Il faut dès lors s'interroger :
Est-on prêt à faire financer le transport public par un surcroît de publicité, celle-ci étant déjà extrêmement abondante ? Si l'on refuse le financement commercial, c'est donc le contribuable, déjà très sollicité, qui paierait davantage.
Y a-t-il une utilité réelle à déplacer la charge complète du transport public, déjà très subventionné, de l'usager au contribuable ? Si oui, laquelle ?
Y a-t-il une utilité réelle à supprimer le rôle de signal qu'a un prix ? Ce signal serait faussé dans l'arbitrage individuel entre les diverses formes de transport, le calcul économique devenant impossible. Ce signal est également utile pour la gestion rationnelle par l'autorité publique du système de transport lui-même, par la connaissance du nombre de tickets et d'abonnements vendus, des lignes où il y a le plus de validations, etc. sans parler de l'utilité de la participation des usagers à l'équilibre financier du dispositif.
Et si l'on débat du transport collectif financé par d'autres que ses usagers, débat-on aussi des autres modèles, tels que la mise en concurrence de plusieurs opérateurs sur le même réseau, par exemple ?
Si le citoyen-contribuable doit payer l'intégralité du coût du transport public, lui demande-t-on son avis ? Y est-il favorable, ou un partage des coûts est-il plus juste ?
Enfin, quel est le sens et la portée de faire perdre à l'usager la qualité supplémentaire de client, qui lui confère des droits particuliers et une responsabilité particulière, puisqu'il paie pour un service ?

Il faut également avoir conscience du choix politique que cela représente. C'est un choix de société, qui n'est pas dénué de portée politique, ni de présupposés idéologiques. Il n'est pas neutre d'observer que la Communauté d'agglomération du pays d'Aubagne et de l’Étoile, venue porter la bonne parole, a une présidence communiste, et que le philosophe et écrivain invité a soutenu le candidat du Front de gauche à la dernière élection présidentielle et est membre du comité de direction d'Espaces Marx. Quant à la composition du collectif nancéien, elle n'est pas apolitique, mais marquée à gauche et à l'extrême-gauche.

Par ailleurs, les inconvénients du financement par le seul contribuable commencent à être connus, à la suite de l'échec de plusieurs expérimentations. Les usagers de Melbourne expriment leur scepticisme. Mais surtout, on a observé les effets secondaires suivants, listés dans une étude de Jennifer S. Perone, de l'Université de Floride du Sud :
  • Forte augmentation du vandalisme et du hooliganisme
  • L'utilisation des véhicules comme abri par les personnes sans domicile fixe
  • Une chute significative des ressources dans les grands systèmes de transport public
  • Une forte hausse des plaintes des chauffeurs et de la rotation du personnel, malgré l'élimination des altercations liées au compostage
  • Un service plus lent : l'absence de paiement ou de compostage accélère l'embarquement, mais l'affluence de passagers tend à éliminer ce gain
  • Une baisse de la régularité du service
  • Une augmentation des coûts de la sécurité et de la maintenance
  • La baisse globale des émissions polluantes n'est pas démontrée

On peut aussi imaginer que les justifications locales éventuelles du financement public intégral à Aubagne ne soient pas nécessairement transposables à Nancy, dont la taille et la configuration sont très différentes. L'étude citée précédemment établit en effet un lien entre la taille du réseau de transport en commun et la prédominance des inconvénients sur les avantages. La sagesse commanderait en tout cas d'attendre les résultats, sur au moins un mandat, de l'expérimentation de gratuité conditionnelle lancée à Tallinn en 2013, ville dont la taille et la situation est beaucoup plus comparable à celle de Nancy.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Marc.

Analyse precise et objective.Au point de me donner envie de la traduire a l'Arabe et essayer d'y attirer l'attention des Twittos Egyptiens..Et bien-sur avec votre signature apres votre permission.:)

Cordialement..

Norah

Marc a dit…

Bonjour Norah ; d'accord, pas de problème pour une traduction, avec un lien vers le blog, et la mention du nom de la traductrice également ;-)

Anonyme a dit…

Pour sur un lien vers l'article + le Blog y figureront! A la fin c'est Vous l'auteur...Je ne suis que l'interprete de vos mots ..;) Vous tiendrais au courant des que je l'ai termine en plus d'une copie..Mervi de votre gentillesse :)
Tres Bonne Journee!
Cordialement..
Norah